Lycane La Louve
Titre : Artilleuse de Génie, Myriapodes Imperator, Assassin Première Classe, Dompteuse de Licornes, Cockatrices Magister, Flagelleuse d'Esclavagistes, Gourou d'Adrien, Immuno-Annihilateur, Tacticienne Balistique, Chevaucheuse de Dragons Rouges Nombre de messages : 225 Age : 42 Race : Demi-Elfe, devenue Noire par la force d'une fin du monde Profession : Louve Date d'inscription : 26/05/2010
Feuille de Perso Niveau: 11 Expérience: 61109 Progression: (6109/11000)
| Sujet: Lycane de Luperque Lun 21 Mar 2011 - 22:50 | |
| Le loup tournait en rond, les babines au vent, ses canines effilées débordant de sa gueule, prêtes à déchirer les chairs qui passeraient à sa portée. Il avait la tête basse, le regard rempli de rage et rougi de colère, il se tenait le dos rond, le poil dressé sur son échine, les pattes arrière repliées sous lui, comme un ressort comprimé qu’il suffirait de relâcher pour bondir en un jet puissant et meurtrier.
Devant lui, elle lui tournait le dos, une mèche de ses longs cheveux fous tombant sur son épaule gainée de cuir. Elle fixait la façade austère d’un sombre manoir sans sembler se soucier du carnassier bavant qui grognait son souffle chaud jusque sur sa nuque. Grimpé sur une rocaille, le cruel animal dominait la fragile jeune femme.
Un saut seulement, il serait sur elle.
Une simple pression de la mâchoire et elle serait égorgée.
La douceur opaline de la lune, bien ronde dans le ciel noir, jetait sur le visage triste de la demie-elfe une lueur évanescente. L’ovale fin de ses traits irradiait d’une blancheur nacrée, éclatant sous le manteau noir de la cascade de ses cheveux. Ses yeux se noyaient dans une fine pellicule de larmes, presque invisibles, à peine humides et discrètement brillantes. La proximité de la mort, peut-être.
Puis, comme dans un instinct irrépressible, le loup s’assit lentement sur la roche, les yeux rivés sur l’astre éclatant et se mit à hurler.
A cet instant seulement, elle se tourna vers lui, comme si elle sortait d’un songe qui l’enveloppait tout entière. A cet instant seulement, elle eut l’air de prendre garde à la présence du canidé sauvage.
Mais il n’y avait aucune panique dans le regard qu’elle posa sur lui, pas la moindre trace de terreur. La buée de ses pleurs retenus s’était évaporée instantanément. Elle se contenta de lever les yeux au ciel et de secouer légèrement la tête.
- Tu grognes, tu baves, puis tu hurles… On ne peut pas dire que tu sois précieux dans les moments difficiles, Georges !
Le loup cessa aussitôt la sérénade inutile qu’il lançait à la Lune lointaine, maîtresse convoitée en vain depuis la nuit des temps par tous les loups de la création. Il se contenta de regarder la femme en haussant un sourcil, dans une mimique finalement très humaine.
- J’ai rendez-vous derrière ces murs avec quelqu’un qui ne sait pas que je viens. J’aurais souhaité une attitude plus civilisée de ta part.
A ces mots, Georges reprit la position féroce qui était la sienne et amplifia encore son grognement. Sa rage se concentrait sur la grisaille de la pierre taillée là-bas, au bout de la clairière. Il semblait vouloir se jeter sur l’édifice bourgeois, l’abattre de ses griffes, le dépecer de ses dents… C’est qu’il savait bien qui était l’occupant de ce petit châtelet de parvenu.
Il savait que c’était le propre père de sa précieuse, son amie, sa maîtresse, qui vivait là, bien abrité dans la demeure m’as-tu-vu qu’il s’était fait bâtir à grand frais, confit dans la richesse poisseuse que lui avait octroyée une fortune acquise par le vice et la malhonnêteté.
Georges n’était qu’une bête, un animal, incapable de parole et de conscience croyaient naïvement les humains. Une bête sauvage qu’il fallait craindre et annihiler à la moindre occasion.
Incapable de parole, c’était une vérité. Mais c’était simplement parce que le langage qu’il avait développé avec ses congénères ne nécessitait pas de mots. Pourtant, ils communiquaient sans mal dans la meute, et bien souvent avec moins de sous-entendus ou d’incompréhension que ces pauvres humains supérieurs.
Incapable de conscience ? Là, il ne s’agissait que d’une vision prétentieuse des hommes, qui n’auraient pas douté un instant qu’il avait un esprit parfaitement capable de penser s’ils avaient pu lire ce qu’il pensait d’eux quand, par aventure, il arrivait qu’il les écoute débiter des âneries.
Une bête sauvage ? Oui, avec évidence dès qu’on voudrait toucher à un membre de sa meute. Et depuis bien longtemps maintenant, la jeune femme était un membre de sa meute. Depuis bien longtemps, il était son fidèle compagnon, son gardien, son soldat, son ami…
Ensemble, ils en avaient couru des chemins, parcouru des futaies. Ils avaient dormi de si nombreuses nuits dans la fraîcheur moelleuse de la mousse, sur le tapis craquant des feuilles mortes. Au cours de certaines veillées, elle avait raconté.
Elle avait raconté… Raconté comment celui-ci avait surgi, un jour dans un paisible village elfe à la tête d’une troupe de mercenaires. Comment il avait fait massacrer tous les mâles et capturer toutes les femelles et tous les petits pour en faire ses esclaves, comment une de ces pauvres femelles avait eu le malheur d’aiguiser son appétit, comment elle était devenue son jouet, comment il l’avait engrossé de force et sans même le savoir.
Elle avait raconté comment sa mère avait dû redoubler d’ingéniosité pour cacher sa grossesse, synonyme d’inutilité aux yeux de son maître et donc, d’une mort certaine. Ce qu’elle n’avait pu cacher, ce sont les pleurs tonitruants de la toute petite bâtarde qui s’extirpa de son ventre. Ce hurlement strident mais joyeux de la vie qui naît retentit comme une sirène aux oreilles du monstre. Il débarqua en trombe dans le réduit qui servait de chambre à la poupée vivante condamnée à assouvir ses désirs. Furieux, hurlant sa colère, il roua de coups la jeune mère jusqu’à lui ôter son dernier souffle de vie avec ses poings et, incapable de calmer sa fureur, il jeta le petit être rose par la fenêtre.
Tout cela, elle l’avait appris de la bouche de quelques-unes des esclaves, anciennes compagnes d’infortune de sa mère. Elle avait passé bien des lunes à chercher ses origines et elle avait fini par retrouver au lavoir une vieille elfe, réduite à la servitude, qui accepta de faire ressurgir ses vieux souvenirs maudits. D’autres ensuite avaient osé témoigner, discrètement, au coin d’un bosquet, dans l’ombre d’une colonnade…
La petite poupée molle après un vol improbable s’était enfoncée sans mal dans l’épaisseur d’une meule de foin providentielle. Attirée par la faim aux abords du manoir, une louve cherchait désespérément une proie pour nourrir son petit. La petite créature étrange et glapissante lui parut une proie facile mais nutritive pour son louveteau famélique. Elle la saisit dans sa gueule en prenant garde de la conserver en vie. Cela lui paraissait une plus délicieuse friandise pour son rejeton.
Mais quand la louve déposa le présent appétissant entre ses pattes, Georges n’eut pas d’autre réflexe que de la lécher pour la nettoyer, puis de s’enrouler en boule tout contre elle pour lui tenir chaud. Et ils ne se quittèrent plus !
Bien sûr, l’appel de sa race avait fini par être plus fort et elle avait rejoint quelques temps une communauté humaine pour apprendre à vivre comme les siens. Mais elle était bien vite revenue, différente mais fidèle.
Aujourd’hui, après leur longue route côte à côte, ils n’étaient qu’à quelques mètres de la vengeance. Georges aurait voulu détruire lui-même le monstre mais il savait qu’elle ne le laisserait pas faire.
Elle lui intima l’ordre de rester ici et comme toujours, il obéirait. Il la regarda s’éloigner dans la nuit, escalader la façade avec aisance et s’infiltrer par une fenêtre dont le battant en vitrail était resté ouvert.
Il attendit. Un hurlement de terreur résonna puis le silence.
Il attendit encore.
Il distingua parfaitement la silhouette frêle qui s’approchait dans la nuit. Ses sens aiguisés sentaient le sang sur sa peau, ses yeux habitués à l’obscurité la virent s’essuyer la bouche d’un revers de manche.
Demain, au matin, quand les serviteurs retrouveraient le cadavre égorgé, ils n’auraient aucun doute sur l’auteur du crime. Ils se contenteraient de se demander comment et pourquoi un loup avait pu pénétrer au premier étage pour venir dévorer en partie leur maître.
Rien ne transparaissait sur son visage, rien qui put trahir ce qu’elle ressentait. D’un ton monocorde, elle se contenta de dire :
- En route ! Notre destination : le Château de l’Union des Citoyens !
Et comme depuis toujours, comme pour toujours, Georges emboîta les pas de Lycane.
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